Quatres mirages et un enterrement...

[Jo Clay]

Quarante degrés à l'ombre, sûr. Sauf que pas d'ombre, cet après midi, dans le cimetière de Shangri La, un peu à l'écart des habitations... La chemise trempée de sueur, collante, luisante, la Kieffer bataille avec sa pelle, contre le sol craquelé. Le trou commence à prendre en profondeur. Elle serre les dents, à chaque fois que l'outil cogne contre une pierre; déniche parfois un objet rouillé, désuet, qu'elle sort du trou, pour le balancer, en soupirant... Et à l'attention de l'indienne, à coté d'elle :

"... C'doit êt' une ancienne décharge... Une ancienne putain d'décharge... Vu toutes les merdes qu'on r'monte en creusant ici... Une putain d'décharge..."

Elle s'étire, s'extirpe maladroitement du trou, et tend la pelle à Alisha.

"Continue, j'en peux plus... Fait plus chaud qu'dans l'trou du cul du diab', ici..."

A coté de l'ébauche de trou, sous un vieux drap, la dépouille de Meryl. La petite Meryl, adoptée par une bande de rednecks crasseux : bande disparue depuis longtemps... Qui s'en souvient. La petite attardée d'un groupe de salopards... La petite fille d'une vieille ordure décédée, tant mieux pour tout le monde. Un passé trouble, pour la gosse... Avant qu'elle n'ait été recueillie par une Kieffer pas vraiment aimante... Mais qui s'occupait d'elle.

Une Kieffer pas vraiment aimante, mais qui tout de même, s'accroupit à coté du corps. Elle retire une partie du drap, pour découvrir le visage de la jeune fille. Un visage émacié, violet... Elle allait mal. Physiquement morte depuis peu; merdiquement morte depuis belle lurette... La cavalière effleure du bout des doigts le visage de l'adolescente... Puis toujours à l'attention de sa compagne :

"J'peux pas dire qu'j'l'aimais... Mais elle comptait un peu, quand même... Non?"

Les doigts crasseux caressent le visage mort... Disputent vaguement les mouches téméraires...

"Un peu... T'crois pas, Alisha?"

[Alisha Kamakshi]

Alisha regarde le corps étendu sous le drap, avant de prendre la pelle et de continuer à creuser. Elle écoute Jo déblatérer sur ses sentiments concernant la gamine, jetant un coup d'oeil à la brune.

Elle avait un sacrée caractère la petite, dommage qu'elle ai sombré. C'était plus une enfant, pas encore une adulte mais elle avait l'air sacrément remontée contre pas mal de monde et prompte à toutes les conneries. Elle m'aura fait marrer. C'est dommage qu'il en soit ainsi. Je l'aurais bien imaginé devenir encore plus chieuse avec le temps, ça n'aurait pas été triste. J'espère qu'elle est heureuse où elle est...

L'indienne continue de creuser, la mine sombre. Entre ceux qui se suicidaient devant les portes de la ville, ceux qui crevaient de zombinite et les autres, il y avait de quoi avoir le cafard même si, pour le coup, elle préférait que la gamine soit morte que de subir une vie merdique. C'était sans doute mieux comme ça.

[Jo Clay]

"Ouais... Ouais c'sûr..."

Elle continue de caresser le visage de la gosse; se râcle la gorge, et crache, à coté du corps.

"Elle s'rait d'venue aussi vieille qu'la vieille peau d'Lanthane, c'aurait été une sacrée putain d'emmerdeuse... Vrai. L'genre d'mamie qu't'as la boule au ventre avant d'aller y rend' visite à la maison d'retraite."

La brune se force à rire, un peu, tente de faire bonne figure, mais ne parvient qu'à tirer de son visage une grimace crispée... La boule au ventre, il faut croire que c'est elle qui l'a, en ce moment... Pourtant, elle n'avait plus de contact avec Meryl, depuis sa maladie. Mais elle l'avait couvée, un moment... Moins que Tamarie, c'est sûr. Mais elle l'avait couvée... A sa façon, bien avant Alisha, la Ville Rouge, et Shangri La.

"Et aussi elle..."

La phrase meurt dans sa gorge, alors qu'elle avale sa salive, toujours penchée sur le cadavre. Elle se tait : pas la peine de s'étendre, c'est pas le genre de la maison. Simplement, l'observateur averti pourra remarquer que s'il n'y a pas de larmes sur les joues de la Kieffer silencieuse, en revanche, ses yeux rougissent, et commencent à s'embuer.

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