La cérémonie

[Gonzalo]

Depuis son retour en ville Gonzalo avait vite retrouvé des habitudes de citadin. Tenue décontractée pour aller au puits, short, tongs, lunettes noires et maillot de foot floqué Diego Maradona. Quand il parlait biz' ou pour les grandes occasions, il enfilait par dessus une veste qui avait connu de meilleurs jours.
Et ce jour-là c'était une grande occasion. Sept jours après son arrivée en ville, il avait décidé que c'était un dimanche. Il était parti tôt le matin et se rendit d'abord à la serre. Au gros bouquet de fleurs blanches qu'il tenait à la main, il ajouta quelques boutons d'or, les disposa sur le dessus pour former une lune. Il arpenta la serre et remercia le jardinier. Le coquelicot placé au bas de l'ovale pour représenter des lèvres écarlates et sensuelles. Enfin deux violettes plantées au milieu, et le bouquet prenait vie et le fixait d'un air tour à tour suppliant ou effrayé.

Il avait coupé à travers les friches de la ville sans rencontrer personne. ll refit le tour des allées du cimetierre pour être certain, mais non il n'avait pas vu leurs noms. Il choisit un coin avec des voisins fréquentables, des pionniers ou des personnages au passé honorable de Shangri-là. A genou, une clope au bec, il creusa à la main deux trous tout juste assez grands pour enterrer un chat. Il déposa le bouquet dans le premier, un masque à gaz dans le deuxième. Deux grandes bouffées et il fit tomber la cendre de cigarette dans les tombes.

Il se tenait droit et digne dans son short et sa veste élimée. Il se racla la gorge. Il sentait que l'assemblée invisible, mais si impressionnante par son silence, attendait un dernier discours.

Hé Seigneur ! Accueille auprès de toi ses deux ames innocentes. Emportés si jeunes.
Gabrielle. Calypse. Requiescat in pace.

Oué et garde un peu de place encore, que les derniers arrivés soient pas niqués.
Amen.


Amigos je vous demande une minute de silence pour la mémoire de nos chers.


Gonzalo se figea comme toute l'allée dans le plus grand silence, pendant de longues minutes. Dans ses souvenirs, la fin de la minute était marquée par un coup de sifflet et des applaudissements. Mais rien de tout ça n'arriva. Il regrettait de ne pas avoir emmené de force un prêtre avec lui.
Alors il reboucha les trous. Il ne restait plus qu'à voler deux croix sur des tombes voisines.
Ca avait été malgré tout une bien belle cérémonie. Les mains dans les poches, il s'en retourna en sifflotant. La terre craquait entre ses orteils.