Mademoiselle Tamarie et Madame Jo Clay Kieffer

[Lanthane]

Elles étaient toutes les deux assises en face de Lanthane.

Autrefois, cette dernière leur aurait glissé une carte, une liste de provisions, et répété une bonne dizaine de fois de se montrer prudente, et surtout respectueuses des vies qu’elles croiseraient lors de leur mission. La première aurait craché, lâchant un juron, avant d’afficher un sourire confiant « T’inquiète pas mamy, tu nous connais. » La deuxième aurait surement copié sa mère adoptive en crachant par terre, et ajouté « Mais oui mamy, on sera sage. ». Lanthane aurait levé les yeux au ciel, vaincue. « Tout ira bien, on est des pros. » Et sur leurs chevaux usés, elles auraient quitté Shangri-La dans un nuage de poussière.

L’actuelle Administratrice-Adjointe essuya le filet de bave qui s’échappait lentement du coin de la bouche de Jo Clay Kieffer, avant de planter ses yeux dans ceux de la cavalière en imper. Le vide, le néant. Elle soupira puis la gifla mollement. Aucune réaction. Comme à chaque fois.

Elle se tourna ensuite vers Tamarie, dont la robe n’avait jamais été aussi propre, et le regard éteint. Son visage semblait s’être figé dans une expression tranquille sereine, et qui semblait dire « C’est ma maman, je fais tout comme elle ». Ou alors « Je ne resterais pas toute seule, j’irais où elle ira.»

Lanthane sortit la bouilloire du feu, et mit des feuilles à infuser. Elle renonça pour la première fois à sortir trois tasses et s’en choisit une avec une coupelle, inévitablement dépareillées. Ce n’était pas du thé, elle avait épuisé ses réserves depuis plusieurs lunes. Le gout n’avait rien avoir mais tout le reste, la préparation, y ressemblait. C’était peut-être finalement ça le plus important.

Les mains crispées autour de sa tasse fumante, elle redoutait de prendre une décision. Mais les miracles arrivent rarement, l’idée que ces deux là avaient déjà épuisés leur stock de chance lui arracha un sourire. Lanthane laissa vagabondait ses pensées jusqu’à ce que sa tasse fut vide. Dehors, les premières lueurs de l’aube paraient le ciel de couleurs chaudes.

Elle se leva et se resservit à nouveau. Le temps s’écoula ainsi jusqu'à ce qu’on frappe doucement à la porte. Lanthane se sentit soudain très lasse. Il était l’heure, elle ne pouvait plus reculer.

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Les marais de Shangri-La étaient particulièrement bruyants le matin. Chaque jour, ils rappelaient avec application aux habitants qu’ils n’étaient pas la seule espèce à avoir survécu au Crash. Certains trouvaient ces croassements, ces caquètements, ces bourdonnements inquiétants. Mais cela était encore plus inquiétant quand on n’entendait plus aucun bruit, comme juste avant la Grande Tempête.

La pirogue glissait silencieusement sur l’eau avec une lenteur funèbre. A son bord, un couple oublié, et une vieille femme courbée. Sous le couvert des branches noueuses et moussues, elle s'arrêta sur un îlot de terre assez grand, émergeant de la vase. Lanthane installa le couple dans une parodie de tendre enlacement : Jo Clay Kieffer adossée à une souche et appuyée contre sa poitrine, Tamarie. Les muscles atrophiés de la petite fille avaient pris une couleur étrange, signifiant la fin toute proche.

Tâtonnant la veste toujours poisseuse de la cavalière, Lanthane en extirpa un paquet de cigarettes défoncé. A l’intérieur, une dernière clope et un briquet. Elle dut s’y reprendre à plusieurs fois pour l’allumer. La première bouffée lui déclencha immédiatement une crise de toux. Elle en cracha presque ses poumons. La deuxième remplit ses yeux de larmes. Elle jura, ce n’était surement pas du tabac et toussa encore.

Le temps s’étira encore tandis que les volutes de fumée montaient lentement, captant les pâles rayons du soleil. Le mégot rendit l’âme dans les roseaux alentours. Lanthane embarqua seule et s’éloigna après un dernier regard, chargé d’une émotion indescriptible.

Demain, on reviendrait chercher deux cadavres pour les enterrer.